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  • : le blog yossarian
  • : Grand lecteur de romans noirs, de science-fiction et d'autres trucs bizarres qui me tombent sous la main
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31 mars 2010 3 31 /03 /mars /2010 17:16

     Après une immersion ô combien réjouissante dans Drive, je poursuis ma découverte de l'œuvre de James Sallis avec le premier volet de la série consacrée au détective noir Lew Griffin.

     Je confesse immédiatement que la lecture du faucheux a été une expérience fort agréable. De mémoire, je n'ai pas ressenti un tel enthousiasme depuis, disons en vrac : James Crumley, James Lee Burke ou encore Richard Hugo. Pour faire un parallèle, peut-être osé, je trouve que Sallis se rapproche davantage de Burke. Il me semble partager avec celui-ci quelques points communs. Pour commencer une unité de lieu, ici la Louisiane, avec une parenté indéniable dans les atmosphères, références musicales y comprises. Un spleen tenace ensuite, collant au personnage comme une mauvaise suée et le rendant par voie de conséquence très humain. Enfin, nous sommes de plain pied dans le roman noir.

     Sur ce dernier point, il me semble que l'auteur américain a capté idéalement l'essence du genre. Attention ce que j'affirme, relève de la réflexion personnelle. Une réflexion nourrie au fil aléatoire de mes lectures. En conséquence, elle peut évoluer, être nuancée, voire totalement remise en question. Elle ne tient également pas compte des francs tireurs s'évertuant à démonter les systèmes, à détourner les codes pour mieux jouer leur partition. Je ne leur reproche pas, bien au contraire, c'est même un plaisir de les lire.  

 

     Bref, toute précaution oratoire prise, on ne dira jamais assez que le roman noir est un genre urbain. C'est le roman de la cité, la polis, ici dépouillée de ses artifices aguicheurs, plutôt miroir aux alouettes que vitrine, la ville affichant toutes les stigmates des nombreux vices et déviances d'une société banalement humaine dira-t-on poliment. L'urbs constitue le quotidien d'une foule anonyme, de gagne-petits, de déclassés, au mieux résignée à leur condition, au pire enferrée dans des préoccupations sordides qui nous sont servies en guise de décor.

     Le roman noir est également une histoire, celle d'un solitaire, à la fois sans illusion et sans état d'âme, adepte de boissons fortes, et se définissant avant tout dans l'action.

     Enfin le roman noir, c'est un ton. Volontiers gouailleur, le langage emprunte son vocabulaire, son phrasé à la rue, pour ne pas dire au caniveau. Populaire, argotique, il reflète l'ordinaire banal du citoyen lambda. 
 

     « Les choses ne s'arrangent jamais, Don. Au mieux elles changent. » 
 

      Mais, il est temps de revenir au faucheux. Je disais plus haut que James Sallis avait su capter l'essence du roman noir. Il ne se cantonne toutefois pas au simple exercice de style. L'auteur américain imprime sa marque au genre tout en acquittant sa dette à quelques uns de ses éminents titulaires. En lisant Le faucheux, comment ne pas penser à Chester Himes, son auteur référence et comment ne pas admirer le style limpide et poétique d'un roman en phase avec la culture de son auteur, au point où on se demande si ce n'est pas lui Lew Griffin.

 

Jean-Bernard Pouy a parlé de charme de la douleur en évoquant Sallis. Il faut avouer qu'à lire Le faucheux, c'est un peu ce que l'on ressent. Une douleur existentielle, celle pesant sur les épaules de n'importe quel mortel ici-bas. Sallis prend cependant garde d'être trop direct ou trop descriptif. Il prend son temps et brode son intrigue de manière elliptique, focalisant notre attention sur quatre moments de la vie de Lew Griffin. Le portrait du détective apparaît ainsi à la fois incomplet et en perpétuelle évolution, à l'instar de la nature humaine.

     Certes, quelques constantes demeurent : l'entourage de Griffin – des personnages secondaires loin d'être cantonnés au rôle de figurants -, la jungle urbaine, le fatalisme désabusé du détective lui-même. Mais, Griffin s'écarte de l'archétype figé. Il vit, il s'anime sous nos yeux, devenant progressivement, par un effet de mise en abyme, l'auteur de ses propres jours. Fiction et réalité se mêlent, entrant en synergie pour définitivement nous happer dans un maelström d'émotions et d'empathie, ponctué par un humour amer.

 

     Difficile de ne pas succomber, d'autant plus que l'on reste imprégné durablement par Le faucheux. Vous, je ne sais pas, mais moi, lorsqu'un auteur parle à la fois à mon intellect et à mes sentiments, je suis enclin à replonger aussitôt. Je crois que cela ne va pas tarder.

 

faucheux.jpg

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le faucheux de James Sallis, Gallimard La Noire, 1997

roman traduit de l'américain par Jeanne Guyon et Patrick Raynal

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