Fureter sur le Web réserve parfois de bonnes surprises. Au cours d'une recherche
bibliographique sur Paco Ignacio Taibo II (que ses pas soient précédés par des pétales de rose), je suis tombé sur la mention d'une préface qu'il a signé pour un court roman d'un
autre auteur mexicain : Juan Hernàndez Luna.
Je le cite : « Il m'est arrivé d'écrire une fois que mes lecteurs n'auraient
pas à s'inquiéter si d'aventure l'un des nombreux avions que je prends tout au long de l'année venait à se casser la gueule parce que maintenant Juan Hernàndez Luna était là et qu'il pouvait être
encore plus sauvage et plus mal embouché que moi quand je suis dans un jour sans. »
Bigre ! Mon sang n'a fait qu'un tour et je me suis procuré immédiatement un des ouvrages de l'auteur susmentionné. Au passage, celui-ci n'est pas si mal diffusé que cela en France, notamment chez L'Atalante. Bref, une fois le roman entre les mains, je me suis plongé dans sa lecture et là... wouah !
D'entrée, on ressent la patte de l'auteur, via le filtre de la traduction évidemment. Un mélange de réalisme cru et d'onirisme subtil. L'histoire, au demeurant fort simple, on va y revenir, semble en effet nimbée d'un voile d'irréel, l'auteur avouant lui-même avoir usé d'une pointe de réalisme magique.
« On dit que les Anges ont fondé la ville de Puebla. Je n'en sais rien. Moi je n'y étais pas. »
Manuel, le narrateur, retourne dans sa ville natale Puebla. Longtemps, il a cru qu'il n'y reviendrait pas. Trop de mauvais souvenirs, une relation avec une femme ayant mal tourné, une carrière de footballeur passée par perte et profit et bien d'autres soucis. Journaliste sportif à Mexico, il a accompli son boulot, fréquentant plus que de raison les bars, où un de ses plaisirs consiste à briser les miroirs derrière le zinc. Maintenant, il est de retour et son passé lui rejaillit au visage.
Au bar L'apocalypse, il rencontre son ami d'enfance Felipe. Celui-ci a des ennuis avec un truand, et
comme sa sœur Sarah est dans la balance aussi, l'histoire touche personnellement Manuel. Le voilà embrigadé dans une sale affaire. Quand a-t-il accepté de la régler ? Il ne sait plus. Il a
tendance à perdre le fil de plus en plus, dernièrement.
Derrière le classicisme de l'intrigue, Naufrage est surtout une voix, portée par un style partagé entre réalisme social désenchanté et onirisme. C'est la quête d'un passé intime qui n'est plus et n'a sans doute jamais été.
La mélancolie, le regret des actes manqués, la fatalité jalonnent l'enquête de Manuel. Entre rêve et cauchemar, il remonte une piste tortueuse où souvenirs et réalité sont liés. Il prend des coups, se fait braquer par des nuisibles, couche à la belle étoile ou en prison, écoute le discours halluciné d'un petit vieux alcoolique et renoue avec son passé. Et plus il avance, plus le lustre de ses souvenirs se ternit. Pourtant, il poursuit sa route, une bouteille d'alcool à portée de main, parce que c'est dur.
« Il n'est rien de plus beau
Que de faire naufrage.
Plus de terre ferme
Sous nos pieds.
Qu'on ne sache jamais rien
de nos coordonnées
de nos parallèles
et de nos méridiens.
Il n'y a rien de mieux
que d'être à bord du navire
lorsqu'il chavire ;
un calme féroce nous pénètre
la pluie arrive et puis après c'est le néant.
On laisse l'eau engloutir
nos cabines
on va au bar
on boit un verre
et on raconte nos aventures
lorsqu'on faisait
d'autres naufrages »
Naufrages
Benito Taibo
Naufrage de Juan Hernàndez Luna – Éditions L'Écailler du Sud, Collection « Spéciales » n°18 – Polar Mexique, 2005.