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  • : le blog yossarian
  • : Grand lecteur de romans noirs, de science-fiction et d'autres trucs bizarres qui me tombent sous la main
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12 mars 2011 6 12 /03 /mars /2011 11:27

 

     Baladé d'un bout à l'autre de la vallée de Pomona – la vallée du Marasme accéléré –, Earl Dean vend des aspirateurs. Le plus vieux métier du monde de la consommation. Des cyclones, fine fleur de la technologie domestique, dotés d'une puissance d'aspiration pouvant leur servir à purifier l'air ambiant.

     Si la malchance pouvait se porter comme un étendard, Dean incarnerait le porteur idéal. La quarantaine bien frappé, il n'a jamais fait grand chose de son existence. Ultime héritier d'une famille de riches planteurs d'oranger, il se cantonne à des petits boulots sans attrait. De quoi manger et payer ses factures, l'ambition dans les chaussettes. Aussi loin qu'il se souvienne, les choses ont commencé à mal tourner avec son arrière-grand-père, abattu d'une balle dans le poumon à un endroit où il n'aurait pas du se trouver. C'est à partir de ce drame que les événements ont viré en eau de boudin pour sa famille. Et il faut croire que la poisse n'en a pas fini avec lui.

     Envoyé faire une démonstration du fabuleux Cyclone chez un client potentiel, il tombe sur une connaissance remontant à ses années lycée. Dan Brown, le mauvais garçon. Un taré à la réputation de cogneur. Un psychopathe capable d'expédier ad patres n'importe qui pour n'importe quoi. Comble de malchance, la brute est en deuil. Le corps de son frère git raide dans une glacière au milieu du séjour, le bide ouvert par un coup de couteau. L'heure n'est plus aux démonstrations commerciales. L'heure est aux représailles. Une vengeance à laquelle Dean se voit contraint de participer.

 

     Comme pour Surf City, La reine de Pomona suit une trame classique : mauvaise rencontre au mauvais endroit, périple chaotique ponctué de violence. Les ressorts utilisés par Kem Nunn ne flattent pas l'amateur de nouveauté.

La différence apparaît plutôt au niveau du traitement. L'auteur californien prend son temps, écartant toute velléité de suspense ou de rythme haletant, comme on dit chez les adeptes du thriller. Il alterne les digressions, parsème son récit de détails d'apparence anodine, détails contribuant pourtant à définir les personnages. Il laisse infuser au travers des descriptions et des plongées dans le passé l'histoire de la vallée de Pomona. On se trouve dans un registre privilégiant davantage l'intuition, l'introspection, et ne se souciant guère des scènes d'action. Toutefois, lorsqu'elles surviennent, Kem Nunn ne ménage pas leur traitement. Sèche, viscérale, dépourvue de toute théâtralisation, la violence marque les corps et les esprits.

     L'argument de départ de La reine de Pomona sert de prétexte. Prétexte à un long voyage au cœur de la vallée de Pomona. Périple dans le passé et les rêves manqués. Le temps passe broyant les hommes et leurs projets. Rien ne dure éternellement. Il gâche les espoirs et use les résolutions. Pourtant, il faut bien continuer à avancer. Ainsi, la vallée de Pomona offre comme un écho à l'histoire personnelle de Dean. La longue nuit qu'il passe en compagnie de Dan Brown lui permet de faire le bilan de son existence.

     D'une certaine façon, La reine de Pomona suit le même schéma que Surf City. Un passé mythique provoquant la nostalgie. Des hommes ballotés entre ce passé et un présent désenchanté. La relation compliquée entre les pères spirituels et leurs héritiers. Kem Nunn semble affirmer que l'on ne vit pas dans le passé mais que l'on ne vit pas non plus en se coupant de son passé.

 

« Le Marasme accéléré avait fait son apparition, manifestation à la fois physique et prophétique d'un malaise bien plus important. Le virus s'attaquait aux racines. L'arbre ainsi coupé de la base de son existence mourait rapidement, souvent en quelques jours. On comprenait comment ça fonctionnait. Avec l'aide de la Old English 800. »

 

     Au final, même si j'ai eu plus de mal à entrer dans ce roman, je ne regrette pas le bout de chemin accompli avec Earl Dean dans la vallée de Pomona.

     La suite bientôt avec Le sabot du Diable. Un roman dont j'ai entendu dire grand bien.

  

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La reine de Pomona [Pomona Queen, 1992] de Kem Nunn – Reed. Gallimard, coll. Folio/Policier, 2004 (roman traduit de l'anglais [Etats-Unis] par Jean Esch)

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4 mars 2011 5 04 /03 /mars /2011 15:20

« Lorsque l'étranger vint s'enquérir de lui, Ike Tucker était en train d'ajuster la chaîne de la Knuckle. C'était une journée ensoleillée, et derrière la station Texaco la terre était chaude sous ses pieds. Le soleil lui tombait droit sur la tête et dansait dans le métal poli. »

 

     Une fois n'est pas coutume, je ne produis pas un résumé sommaire du roman, cela ne me semblant pas très judicieux. Aussi me contenterai-je du strict nécessaire.

 

     Ike Tucker abandonne son existence morne au bord du désert, autant dire au bord de nulle part. Un vaste espace minéral balayé par les vents. Partagé entre une moto qu'il bichonne sans oser la chevaucher et une famille d'adoption le considérant comme un moins que rien, rien ne le retient sur place. Dépourvu de toute attache, il espère remonter la piste laissée par sa sœur partie tenter sa chance ailleurs. À Huntington Beach.

     Entre les déferlantes glacées et la plage hantée par les insouciantes ingénues, entre surfeurs affûtés et bikers massifs, Ike se cherche une place. Il s'incruste, s'entête malgré les déconvenues, persévère à rechercher sa sœur disparue. Et ce qui semblait être un roman noir se mue en roman d'apprentissage.

 

     Histoire classique du petit gars montant à la ville, avec un minimum de bagage, vrai candide découvrant un milieu qu'il ne connaît pas. On ne peut pas dire que Kem Nunn fasse dans l'originalité. Pourtant, Surf City se distingue par, disons son style, à défaut d'un terme plus adéquat. Mélange de désenchantement – on visite l'envers du décor du rêve américain – et de dialogues ancrés dans le registre familier, celui de la rue, le roman de Kem Nunn se fiche comme d'une guigne des intrigues rodées, calibrées pour cartonner. Il prend son temps pour poser le cadre, déroule son récit avec nonchalance, se focalisant sur les personnages. Les rêves brisés de Hound Adams et Preston Marsh. La patience maternelle de Barbara. Sa résignation aussi. La présence pesante des disparus. Du passé. Comme un boulet rivé à la cheville.

     L'insouciance, la liberté, la jeunesse, le fun chantés par les Beach Boys semblent évaporés. Tropisme des années 1960 relégué au rang d'imagerie mythique. L'insouciance est plombée par la drogue, la jeunesse rejoue dans une parodie de liberté le rêve de ses aînés et le fun fleure la désespérance.

     Reste l'océan – un personnage à part entière du roman – et les vagues. Reste le surf.

 

« Ce qu'il faisait n'était pas fractionné en plusieurs séquences : ramer, prendre les vagues, se mettre debout. Tout à coup ce n'était plus qu'un acte unique, une fluide série de mouvements, un seul mouvement, même. Tout se mélangeait jusqu'à n'être plus qu'un : les oiseaux, les marsouins, les algues, reflétant le soleil à travers l'eau, une seule et même chose dont il faisait partie. Il ne se branchait pas seulement à la source, il était la source. »  

 

 

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Surf City [Tapping the source, 1984] de Kem Nunn, REED. GALLIMARD COLL. FOLIO/POLICIER, 1995 (roman traduit de l'anglais [Etats-Unis] par Philippe Paringaux)

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28 février 2011 1 28 /02 /février /2011 20:16

     À l'ombre des Alpes, le polar n'est pas moins noir en Italie. S'il souhaite se targuer du qualificatif d'amateur de roman noir, le lecteur (je ne l'appelle pas par son petit nom) se doit de creuser le sillon transalpin. Il y trouvera son compte. Et même si la mode profite actuellement au thriller scandinave, on lui conseille de délaisser cette tendance, où on trouve désormais à boire et à manger, pour plonger au cœur d'un recueil déclinant toutes les couleurs du Noir italien, histoire de se faire un avis.

 

     Au sommaire de Petits crimes noirs figurent quelques pointures – Lucarelli, Fois, De Cataldo, Camilleri et Carlotto – et des plumes moins connues – Faletti, Dazieri, De Silva, Ammaniti et Manzini. Jolie distribution pour une anthologie alternant le bon et le moins bon.

 

     Ça commence fort avec le duo Ammantini & Manzini. Exercice de haute voltige à quatre mains, Mon trésor raconte les mésaventures d'un chirurgien esthétique toxicomane et d'un sac de cocaïne baladeur. Je ne dévoilerai pas les péripéties d'une histoire abracadabrante, à la fois drôle et dramatique. Je dirai juste, en guise de teaser, que le dénouement ne déçoit pas.

     Avec la nouvelle suivante, on change d'ambiance. Massimo Carlotto fait rarement dans la dentelle lorsqu'il broie du noir. Il suffit de lire Arriverdeci amore ou L'immense obscurité de la mort pour s'en convaincre. Récit âpre, violent et réaliste, Mort d'un indic n'épargne rien au lecteur. On est plongé au cœur du quotidien d'un flic désabusé, en proie à des problèmes conjugaux, et faisant de la protection de ses indicateurs une question d'honneur. Ouch !

     Après ce bain de noirceur, La tanière de Teresa semble offrir une bouffée d'espoir. Rencontre improbable entre une vieille dame solitaire abandonnée des siens et un jeune révolté utopiste, la nouvelle effleure la question du terrorisme, sujet sensible dans une Italie marquée par les années de plomb. Mais en fait, tout ceci n'est qu'un prétexte. Une manière pour l'auteur de broder un texte émouvant sur les rapports humains et l'amour filial.

     Après ces deux récits tragiques, L'invité d'honneur de Giorgio Faletti apparaît comme un feu d'artifice de drôlerie à l'humour vachard, jalonné de répliques hilarantes. L'auteur nous narre le voyage aux Antilles d'un journaliste assez cynique et de son impertinente nièce. Les deux sont à la recherche d'une star déchue du petit écran, l'un pour lui extorquer un scoop et l'autre pour des raisons moins avouables. Jubilatoire !

     Grand amateur de Sandrone Dazieri, je me réjouissais de retrouver l'auteur. Pour mémoire trois de ses romans sont disponibles aux éditions Métailié. Qu'on se le dise ! La dernière pique nous dévoile le côté coulisse du monde du spectacle, et la pique est ici à prendre au sens propre comme figuré. Sammy Donati, une gloire du passé, fait office de guide dans cette histoire de meurtre et de trahison. Des planches des petits cabarets où évoluent des artistes plus ou moins comiques au miroir aux alouettes de la télévision, il n'est pas au bout de ses (mauvaises) surprises. Même si je me suis bien amusé en lisant cette histoire, je ne me m'empêcher de juger le dénouement trop expéditif.

     Passons à Andrea Camilleri. L'auteur sicilien fait figure de tête d'affiche dans le recueil. Pourtant Équivoques et malentendus m'a laissé sur ma faim. J'ai eu un peu l'impression de lire un exercice de style. Il faudra que j'essaie un roman car cet auteur demeure une lacune dans ma culture.

     Autre grosse déception avec Marcello Fois. J'ai trouvé Ce qui manque carrément mou du genou. Intrigue convenue, rythme mollasson... Suite à un précédent échec avec Shéol, je vais finir par croire que cet auteur n'est pas pour moi.

     Après un assoupissement passager, L'enfant enlevé par la Befana m'a réveillé. Avec cette histoire de faux enlèvement pour une sombre histoire de dette, Giancarlo De Cataldo ne fait pas dans l'originalité. Toutefois, il mène son récit avec suffisamment de maestria pour qu'on ne lâche pas l'affaire avant un dénouement peut-être un peu convenu quand même.

     On termine en beauté avec Carlo Lucarelli. Je ne crois pas avoir dit sur ce blog que j'admirais cet auteur. Jamais déçu par ses romans, j'ai été bluffé par Le troisième coup de feu. Et pourtant, les ressorts de cette nouvelle sont ultra-classiques. Malgré tout, Lucarelli arrive à tirer son épingle du jeu et brosse un superbe portrait de femme policier, bien éloigné des super women télévisuelles. De quoi terminer en beauté cette anthologie. 

 

     Au final, chacun à sa manière, les auteurs de Petits crimes italiens dressent un portrait en creux de l'Italie contemporaine. Un instantané des marges remontant jusqu'au cœur de la société et du malaise social. Un instantané valant bien une multitude d'études sociologiques.

Je ne saurai trop recommander aux éventuels curieux, de piocher dans les ouvrages de littérature italienne, traduits en partie par Serge Quadruppani, aux excellentes éditions Métailié (on y revient), s'ils souhaitent approfondir le sujet. Des pépites noires sont à découvrir.

 

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Petits crimes italiens [Crimini, 2005] – recueil de neuf nouvelles, réédition Seuil, collection « Roman noir », janvier 2011

 

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23 février 2011 3 23 /02 /février /2011 18:44

     Retour aux choses sérieuses bientôt. En attendant, quelques lectures de BD, histoire de patienter...

 

Baron Samedi, L'enfant de la mort - Dog Baker - Editions Treize étrange

baron samedi     Dans le panthéon des Génies du Mal, Baron Samedi se taille (au scalpel) une place de choix.
     Voici une BD à destination de l'amateur de littérature populaire et de l'adepte des déviances érotiques et sanglantes.
Quid de l'histoire ? Seul survivant d'un massacre perpétré par des mercenaires agissant pour le compte de la République française, Baron Samedi tient son nom de ces circonstances. Devenu adulte, il croit échapper à son destin. Las, celui-ci le rattrape. Désormais créature de la nuit, le visage brûlé par la chaux vive et caché par un masque de mort, il ne vit plus que pour assouvir sa vengeance contre cette nation honnie : la France. En compagnie de Maman Brigitte, il torture, exécute, massacre, sans que la police, en particulier le célèbre commissaire Le Porc, ne puisse l'arrêter.

 

     Narré de manière dynamique, avec un graphisme relevant de la ligne claire, dont on a noyé les couleurs - sauf le rouge artériel - dans un camaieu de gris, Baron Samedi acquitte avec les honneurs son tribut à Fantomas, au Docteur Cornélius et au cinéma italien d'horreur.
     Le Paris des années 1960 apporte une touche vintage à l'ensemble, ce qui n'est pas déplaisant.
Un récit à suivre...

 

 

 

Star Wars - Mondes Infernaux - Collectif - Editions Delcourt

 

     comic-mondes-infernaux-12159.jpgDans une galaxie très proche, la nôtre en fait, à l'hyper du coin de la rocade, pas plus tard qu'hier, mon regard dans le vague a accroché la couverture du nouveau produit dérivé SW édité par Delcourt, débarqué fraîchement sur l'étalage du boucher... du libraire, je veux dire.
Par pur automatisme -vous ai-je avoué être fan de la old-school trilogie -, j'ai saisi l'objet pour le feuilleter.
     Calalogué dans la série Infinities - une des moins mauvaises de la franchise -, Mondes infernaux regroupe dix short comics, comme on dit. Des one-shots scénarisés et dessinés par des auteurs britanniques, genre Steve Parkhouse, Steve Moore, John Stokes, Alan Davis, Bruce Jones et Alan Moore.
     Hein ? 
     Alan Moore est Dieu (dixit Nébal).
     Dieu aurait-il besoin de manger ?
     Prenant mon courage à deux mains, et l'ouvrage dans l'autre, je me suis installé pour lire.

     Première impression, le dessin tranche par rapport aux autres albums où le trait et les ambiances oscillent entre le mouais et le bof bof. Un style graphique rappelant V pour vendetta ou The Watchmen. Pas pour me déplaire. Un petit côté désuet aussi. Renseignement pris, ces short comics sont parus en revue au début des années 1980. Ils ont été rassemblés ensuite en albums : les recueils Devilsworld (1 et 2) et The Tales from Mos Eisley.

Quid des histoires ? Pas de quoi sauter au plafond. Pas de quoi crier au scandale non plus. On s'inscrit dans l'univers classique de SW, celui de la trilogie initiale (ne pas confondre avec la prélogie comme on dit dans les milieux bien informés).
     Les intrigues jouent sur les ressorts d'une SF classique, histoire à chute, s'éloignant du canon stawarien (je néologise si je veux). On retrouve quelques unes des marottes d'Alan Moore dans les récits qu'il scénarise. En particulier Tilotny a crée une forme..., courte histoire anti-starwarienne au possible, sans doute ma préférée.

     Bref, cet album est une curiosité. Sans doute pas un incontournable, mais un recueil qui mérite un coup d'oeil.

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16 janvier 2011 7 16 /01 /janvier /2011 17:51

     Une fois n'est pas coutume, je vais causer de SF sur ce blog.

 

     ...

 

     (Soupir de consternation)

 

     ...

 

     Ahem...

 

     Guide de lecture, digest, étude, dictionnaire, essai abondent sur le sujet apportant leur dose d'informations sur un genre qui reste en marge, malgré les efforts d'élucidation et de vulgarisation. On glose, on débat, on analyse, on assassine d'une sentence se voulant définitive et pourtant rien n'y fait. La SF reste mal-aimée dans l'Hexagone. La faute aux tenants de la culture officielle pour qui elle confine à l'amusement puéril quand elle n'est pas une preuve d'échec (dixit Angelo Rinaldi). La faute aussi aux défenseurs du ghetto (le fandom) arcbouté dans une posture d'enfermement, souvent agressive (logique du pré carré).

     On aboutit ainsi à une situation paradoxale. La SF contamine de plus en plus la littérature, entrant en quelque sorte par la porte de derrière. Pourtant, on ne la nomme pas. Bien au contraire, on biaise, on contourne, on trie le bon grain de l'ivraie. Tel ouvrage est de la pure SF. Tel autre n'est qu'une pâle copie. Bizarre...

     Venu des marges, c'est-à-dire de Suisse (ne m'en voulez pas amis helvètes), François Rouiller ne s'embarrasse pas avec ces guerres picrocholines. Avec cet ouvrage, il lorgne même vers le grand public, lui proposant un guide à la fois facétieux et sérieux sur la SF

 

     Au-delà des habituelles tergiversations, 100 mots pour voyager en Science-Fiction est doté de qualités qui risquent de le propulser parmi les incontournables du genre. L'ouvrage peut être lu par les profanes, le public cible il me semble, mais également par les connaisseurs.

     L’approche de François Rouiller se veut totale, englobant sous le terme de « culture SF », les diverses manifestations de la science-fiction dans les médias, l’art, le cinéma, la musique, la bande dessinée, les jeux vidéo, les croyances… Un angle d'attaque également subjectif, sans être complètement gratuit, méthodique, sans être psychorigide. Avec une grande liberté dans ses choix et dans son ton, François Rouiller explicite le sens de son projet. Une table, un index et une conclusion viennent compléter et renforcer la rigueur de son travail.

 

     100 mots pour voyager en Science-Fiction n'est une analyse exhaustive ayant pour objectif d'épuiser son sujet d'étude. Les spécialistes y pointeront sans doute les manques inhérents à leurs marottes tandis que les fans déploreront l’absence de leur auteur/œuvre fétiche.

     Une trame de 100 mots s’étalant de ADN à Zut (François Rouiller est facétieux, je l’ai déjà dit) sert de fil directeur. L’esprit présidant au choix de ces mots n’est pas celui qui guide habituellement les auteurs d’encyclopédie ou de dictionnaire. On ne trouve ainsi aucune entrée sur un nom d’auteur ou sur un thème science fictif particulier et les seules concessions à la forme sont les entrées Concentré et Guides proposant pour la première, une micro bibliothèque idéale de 56 titres et pour la seconde une liste d’ouvrages de référence en français et en anglais, accompagnée d’un bref recensement des sites consultables sur Internet.

     Pour le reste, l’auteur rend compte et analyse, dans de courts articles synthétiques et avec des exemples judicieusement choisis et exploités les principaux thèmes, clichés et motifs de la « culture SF ». Ainsi, le lecteur est libre de découvrir celle-ci de la manière qui lui plait. En picorant au hasard en dilettante, en respectant méthodiquement l’ordre alphabétique, en naviguant au fil des entrées proposées à la fin de chaque article.

     Signalons au passage que l’ouvrage de Rouiller recèle quelques perles savoureuses. Par exemple, dans l’article rédigé sous l’entrée Rumeur ou encore cette allusion – pêchée dans l’article Amateur – à l’analyse psychanalytique très sérieuse de Alexandre Hougron (« Science-fiction et société », collection Sociologie d’aujourd’hui, PUF, 2000) qui présente les lecteurs de Science-fiction comme « de jeunes hommes, tous relativement immatures, et, pour certains, peu doués et mal à l’aise dans toute forme de communication » et le même d’ajouter : « ils sont la preuve vivante que la fascination croît de manière proportionnelle avec le refoulement. »

 

     Bref, si vous êtes définitivement allergique aux ouvrages théoriques à la formulation académique, si vous dédaignez les guides de lecture routinier, les dictionnaires et les encyclopédies raisonnés trop raisonnables, le livre de François Rouiller offre une alternative décomplexée, distrayante et érudite afin de découvrir ou de redécouvrir la Science-fiction. Un livre dont l’objectif avoué est de donner envie, ce qu’il réussit pleinement.

 

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100 mots pour voyager en Science-Fiction de François Rouiller - Les Empêcheurs de penser en rond, 2006

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21 décembre 2010 2 21 /12 /décembre /2010 20:30

     À l'instar des feuilles mortes, les prix littéraires tombent en automne. De quoi alimenter le marronnier des médias. De quoi relancer aussi les ventes, pour le plus grand contentement de l'éditeur, tout en flattant l'égo de l'auteur.

     Je confesse n'accorder qu'une attention mollassonne à ce spectacle. Le feu des projecteur, le jeu des petites phrases, les sous-entendus, les tensions affleurant lors de la publication des nominés, tout cela m'indiffère et, à vrai dire, ce n'est pas un prix qui me fera lire un roman.

     Cette année fait exception (Ne jamais dire jamais ou fontaine etc.). En effet, la remise du prix Médicis est venue bousculer mes habitudes. Certes, Maylis de Kerangal n'était pas vraiment une inconnue. J'avais lu quelques avis engageants sur son roman précédent. L'occasion de précipiter sa remontée au sein de ma pile à lire.

     Que dire de Corniche Kennedy sans affadir l'impression qu'il me reste de ce livre, une fois la dernière page tournée ?

     Résumer l'histoire ? Baste ! Celle-ci tient de toute façon sur un ticket de bus (ou de métro). D'un côté des jeunes, la bande de la Plate, ayant pris quartier sur un bout de caillou au pied de la corniche à Marseille, et qui se prennent pour les plongeurs d'Acapulco. De l'autre un maire excité, surnommé le Jockey, souhaitant mettre un terme aux plongeons de cette racaille des quartiers désargentés de la cité phocéenne. Faire place nette ! Restituer la corniche à la circulation automobile. Et rien d'autre ! Entre les deux, un flic désabusé, revenu de tout, cuvant son spleen dans l'alcool.

     Non, résumer l'histoire de Corniche Kennedy n'est tout simplement pas tenable car les clichés déjà-vus, déjà lus ailleurs, se révèlent au final un prétexte, un décor, permettant à l'écriture de Maylis de Kerangal de se déployer dans toute son ampleur. Somptueuse, rythmée, déconstruite, à hauteur d'homme, la prose de l'auteur happe l'attention. Elle installe une atmosphère, campe les caractères, exprime les non-dits. Elle se révèle idéale pour décrire cette période trouble et troublante, propice à tous les excès, que l'on nomme adolescence.

     Il ne se passe pas grand chose sur la Plate. On se regarde, on se toise, on se défie, on joue au jeu de la séduction. On cache les blessures intimes tout en cherchant à être quelqu'un ou du moins à le paraître. Et on plonge, pour le frisson du saut (chiche !), pour cet instant fugitif où, entre ciel et mer, on embrasse le monde dans sa totalité.

     Quelque chose d'alchimique se met en place. Un tropisme irrésistible. Les phrases de Maylis de Kerangal sonnent vrai. Elles réveillent des échos familiers, des souvenirs enfouis dans les tréfonds de la mémoire. Quelque chose de visuel, d'olfactif que l'on perçoit également à l'oreille. Quelque chose dont il est difficile de dresser le compte-rendu sans en affaiblir l'effet.  Aussi, laissons la parole à l'auteur.

 

« Ils se donnent rendez-vous au sortir du virage, après Malmousque, quand la corniche réapparaît au-dessus du littoral, voie rapide frayée entre terre et mer, lisière d'asphalte. Longue et mince, elle épouse la côte tout autant qu'elle contient la ville, en ceinture les excès, congestionnée aux heures de pointe, fluide la nuit – et lumineuse alors, son tracé fluorescent sinue dans les focales des satellites placés en orbite dans la stratosphère. Elle joue comme un seuil magnétique à la marge du continent, zone de contact et non de frontière, puisqu'on la sait poreuse, percée de passages et d'escaliers qui montent vers les vieux quartiers, ou descendent sur les rochers. L'observant, on pense à un front déployé que la vie affecte de tous côtés, une ligne de fuite, planétaire, sans extrémités : on y est toujours au milieu de quelque chose, en plein dedans. C'est là que ça se passe et c'est là que nous sommes. »

 

     Bref, je dois avouer que je suis maintenant très impatient de lire Naissance d'un pont.

 

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Corniche Kennedy de Maylis de Kerangal - Réédition Gallimard, collection folio, 2010

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30 novembre 2010 2 30 /11 /novembre /2010 14:51

     Ayant échappé au cabotinage de George Clooney et de ses collègues, j'ai profité de la réédition en poche du livre de Jon Ronson pour satisfaire ma curiosité, aiguillé en cela par quelques retours favorables.

     Les chèvres du Pentagone n'est pas une énième novélisation. Bien au contraire, on se trouve devant une enquête, menée un peu à la manière gonzo, par un journaliste britannique, réputé pour ses articles dans The Guardian et ses documentaires pour la télé.

     D'entrée de jeu, on a bien du mal à le prendre au sérieux tant les faits exposés paraissent énormes et abracadabrants. Il n'y a qu'à dévoiler quelques pièces servant de fil directeur pour en juger. D'abord un général, chef des services de renseignements militaires, persuadé qu'il peut traverser les murs s'il accède à l'état mental adéquat. Puis, une unité secrète des forces spéciales dénommée le Bataillon de la première terre, formant des supersoldats, des guerriers jedis. Enfin, une rumeur persistante prétendant que l'on cherche à tuer, quelque part, d'un seul regard, des chèvres. Avouons que les éléments de l'investigation de Jon Ronson laissent pantois. De quoi stimuler l'incrédulité du plus fervent cartésien.

 

     Et pourtant... Peu à peu, on se laisse convaincre.

 

     Au lendemain de la guerre du Vietnam, l'armée américaine avait le moral en berne et l'image de marque dans les chaussettes. Pour redorer son blason, les services de renseignements, puis les forces spéciales, ont donné carte blanche à des projets qui, sous couvert de guerre psychologique, s'aventurèrent sur le terrain du paranormal. Une aubaine pour les zozos, les mystiques de pacotille, contaminés par la philosophie hippie, et les quelques hurluberlus prenant la SF pour une révélation transcendantale. Ne manquaient plus qu'un quarteron de nexialistes (il y en avait peut-être, qui sait...)

     Méditation, arts martiaux, consommation de drogue, exercice de télépathie, de télékinésie, voyage astral, les gourous du bizarre n'ont pas ménagé leurs efforts.

     Déclassifiées, puis abandonnées dans les années 1990, leurs expérimentations ont été réamorcées avec la guerre contre le terrorisme, suite aux attentats du 11 septembre 2001, trouvant un nouveau terrain d'application en Afghanistan, en Irak dans la prison d'Abou Ghraïb et à Guantanamo.

 

     Dans un pur style journalistique, ironie et anecdotes délirantes y comprises, Ronson déroule le fil de son enquête comme un chaton s'amuse avec une pelote de laine. Il met en scène les coups de théâtre, introduit les témoins et produits les effets comiques, tel un romancier. Il en rajoute un maximum sans jamais franchir la ligne rouge du n'importe quoi, restant rigoureux jusqu'à la fin.

     On rigole beaucoup, on ricane à l'occasion, sur le dos de l'armée américaine et sur celui de l'administration rendant possible une telle gabegie. Puis, se ressaisissant, on prend conscience que derrière les charlatans, les doux dingues, les gourous, les secoueurs de grigris et autres adeptes de pseudo-sciences œuvrent des individus beaucoup plus dangereux et sans scrupules. Des politiques et des militaires tirant les marrons du feu et trouvant des applications pratiques aux expérimentations des zozos.

     Puisant dans leur programme d'armes non létales, ces fiers patriotes ont fait leur marché afin de trouver matière à humilier, à réprimer, à briser et à reprogrammer. Armes acoustiques, appareil de psychocorrection permettant d'influencer les prisonniers, visuellement ou oralement, par des messages subliminaux. Torture par la musique (la playlist est étonnante) accompagnée de flashs lumineux stromboscopiques. Tout un arsenal est né grâce à un groupe d'allumés aux intentions diamétralement opposées. Et, c'est à ce prix que nous vivons dans un monde plus sûr.

 

     Pas si sûr...

 

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Les chèvres du Pentagone de Jon Ronson (The Men Who Stare at Goats, 2004) – Presses de la Cité, collection 10/18, novembre 2010

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16 novembre 2010 2 16 /11 /novembre /2010 14:37

     Je lis beaucoup mais il m'arrive aussi de discuter de mes lectures et d'écouter celles des autres. À plusieurs reprises, on m'a conseillé Joël Houssin, un écrivain français dont j'avais ouï dire qu'il avait collaboré au scénario du film Dobermann. Un titre adapté lui-même d'une série parue au Fleuve noir dont l'auteur n'était autre que Joël Houssin. Le monde est petit, n'est-ce pas ?

     Même si Dobermann paraissait une entrée intéressante pour découvrir Houssin, j'ai opté pour un roman plus ancien, un concentré d'énergie au cadre post-apocalyptique mixant à la fois Rollerball et New-York 1997, du moins à mes yeux. Les connaisseurs auront immédiatement reconnu Blue.

 

     Quid de l'histoire ? Blue est le nom du chef des Patineurs, un des clans hantant les ruines de la Cité. En guerre perpétuelle contre les autres clans (les Bouleurs, les Saignants, les Skins, les Youves...), les Patineurs défendent leur territoire en vertu du droit du plus fort et de la loi de la jungle. Identifiable à ses mèches bleues, Blue a conquis sa position de haute lutte, misant tout sur son intelligence et sur la crainte qu'il inspire.

     Mais voilà, cela ne lui suffit plus. Blue a un rêve : passer le Mur qui enserre la Cité, histoire de découvrir ce qui s'étend au-delà. Un seul obstacle s'oppose à cette chimère : les Néons, créatures mystérieuses organisées en armée, nourries de slogans répétitifs, et dont la seule raison d'exister semble être d'empêcher tout franchissement du Mur.

     Jadis, les Musuls se sont brisés les crocs en essayant de passer. De clan dominant, ils sont devenus des ombres, réfugiés dans les sous-sols de la Cité, pourchassés par leurs anciens sujets. Blue a retenu la leçon. S'il souhaite déborder les Néons, il doit d'abord réaliser l'impossible : unir tous les principaux clans de la Cité.

 

     À la lecture de ce résumé, on comprend bien que ce n'est pas l'originalité de l'intrigue qui prime. Linéaire, jalonné d'explosions de violence, de coups de théâtre, Blue ne fait pas dans la dentelle. Joël Houssin envoie valdinguer les chichis littéraires, les affèteries du bien écrire et du beau style. Il convoque le meilleur du roman populaire et nous livre ici un récit à lire à tombeau ouvert.

     Dans l'énergie vitale animant les personnages, dans le rythme incisif, tranchant comme une lame affûtée, et jusque dans la truculence des dialogues truffés d'argot râpeux à souhait, Blue se montre généreux et sans concession. Joël Houssin ne retient rien, ni les coups, ni les trahisons,ni les tueries, ni son imagination. La Cité sous son nuage de cendres grises est dantesque. Les personnages ont l'air de caricatures ricanantes, comme issus d'un tableau de Jérôme Bosch ou d'un comics de Frank Miller. Ils ne manifestent aucun état d'âme, agissent en fonction de leurs intérêts propres, se foutant comme d'une guigne de la morale et des autres idioties humanistes. Et on se réjouit de l'efficacité d'un roman idéal pour se défouler, entre deux lectures plus exigeantes.

 

     Avis aux amateurs, on me souffle dans l'oreille que Blue aurait fait l'objet d'une adaptation en BD sous le crayon de Philippe Gauckler, dessinateur à qui l'on doit notamment l'illustration de cette réédition. Moi en attendant de trouver l'ouvrage, je m'en vais entamer Le Temps du Twist.

  

  Blue

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Blue de Joël Houssin, Réédition Florent Massot/Poche Revolver Science-fiction, 1997

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11 novembre 2010 4 11 /11 /novembre /2010 20:45

     Fin des années 1990. Les quartiers populaires de la Herse, de la Fosse aux Loups et des Courées rouges vivent sous tension, s'enflammant la nuit tombée malgré une lourde présence policière. Misère, ghettoïsation et nihilisme président à ce naufrage. Un refrain connu pour qui a suivi les émeutes de 2005, à la différence notable qu'il s'agit ici d'un roman écrit en 1997.

Prof dans un collège, Laurent Sandre assiste à cette insurrection qui vient, installé pour ainsi dire aux premières loges. La trentaine bien sonnée, l'homme n'a pas vraiment choisi d'être le témoin de ces événements. Toutefois, on ne peut pas dire que le spectacle l'étonne ou l'effraie. À ses yeux, les échauffourées ne représentent que le stade final d'un interminable collapsus entamé aux débuts des années 1980, à l'époque de sa jeunesse étudiante.

     Indifférent, désabusé, les sens anesthésiés par l'alcool et les médicaments, il observe et ne nourrit aucune illusion quant aux vainqueurs de cet affrontement. Les jeux sont faits. Point de martingale miraculeuse pour toucher un éventuel jackpot social.

De toute manière, Laurent ne verra pas le dénouement de cette crise de régime. Il en est persuadé : ses jours sont comptés. À un moment indéterminé de l'avenir, on viendra le chercher pour solder la dette qu'il a contracté dans une vie antérieure. Un lourd passif hantant ses nuits sans sommeil et qu'il tente de juguler à grand renfort de substances chimiques. En attendant, il affecte de croire qu'il peut encore aimer une dernière fois. Jouir du peu de temps qui lui reste et, qui sait, peut-être même échapper au sort funeste que lui réserve Becker. Sortir de la torpeur mortifère dans laquelle il vivote et peut-être même envisager l'avenir...

 

     Premier roman noir de l'auteur, Monnaie bleue semble se couler dans les codes du néo-polar à la Manchette. Une impression trompeuse puisque Jérôme Leroy oriente son récit dans une direction rappelant davantage les romans de Frédéric Fajardie, écrivain avec lequel il s'est lié par la suite.

     Tout Jérôme Leroy est déjà présent dans Monnaie Bleue. Une esthétique romantique assez fleur bleue. Un contexte de guerre sociale latente faisant le lit des polices parallèles et propice aux aventures autoritaires. Beaucoup de vécu personnel : le personnage de Laurent Sandre empruntant en effet de nombreux éléments à la vie de Jérôme Leroy lui-même (une jeunesse étudiante rouennaise, les mêmes références littéraires, un goût certain pour les belles femmes indépendantes, l'enseignement en zone sensible). Un talent pour faire monter la tension, instiller un climat de terreur politique. Sur ce point la scène d'arrestations en masse est glaçante de réalisme. Quelque chose qui n'est pas sans évoquer la répression chilienne. Sans oublier le plus important : une vision très pessimiste de l'histoire politique française se fondant sur l'idée de décadence. En effet, Jérôme Leroy estime, qu'à l'instar de la République romaine, l'État républicain français est gangrené par la corruption et le vice, prêt à basculer dans l'autoritarisme avec la bénédiction des médias. C'est cette vision qu'il met en scène dans Monnaie bleue, agrémentant celle-ci d'une légère touche de romance sentimentale.

     D'aucuns jugeront cette vision des choses trop noire, trop caricaturale, trop idéologique. De fait, Monnaie bleue sert la thèse de l'auteur. Que l'on adhère ou non à celle-ci, reconnaissons au moins à Jérôme Leroy le mérite de la tenir jusqu'à son dénouement logique, nous épargnant ainsi un happy-end mollasson.

 

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Monnaie bleue de Jérôme Leroy – Réédition La Table Ronde/La petite vermillon, 2009 (paru initialement aux éditions du Rocher, 1997)

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3 novembre 2010 3 03 /11 /novembre /2010 15:41

     « Les miroirs de l'ascenseur nous répètent à l'infini et créent une multitude de clones à partir des quatre personnes qui l'occupent. C'est un ascenseur moderne comme l'immeuble, et il y a un instant, quand nous sommes montés, l'homme au complet bleu et moi, au quatorzième étage, les images m'ont rappelé un truc de fête foraine, un truc cruel, car, au lieu de nous déformer, l'excellente qualité optique des miroirs, nous renvoie une parfaite image de nous-mêmes. Et ça fait mal. »

 

     Officiellement, Juanito Pérez Pérez officie en tant que commercial dans une multinationale vendant des produits à destination du secteur médical. Officieusement, il est un tueur répondant au surnom de Numéro Trois. Exécuteur impitoyable, Juanito ne s'est jamais posé trop de questions, mais là, il a envie de faire une pause, genre prendre des vacances avec ses enfants pendant l'été. Ses supérieurs lui ont promis de le laisser tranquille. Ils peuvent bien se le permettre car leur petite entreprise ne connaît pas la crise. Mais les promesses n'engagent que ceux qui les croient (refrain connu). 

     Sur la route des vacances, Juanito est contacté par ses employeurs. Un contrat de dernière minute à livrer. On le rassure, l'exécution de cette tache ne devrait pas lui coûter trop de temps. Comme pour se faire pardonner, ses supérieurs ont pris sur eux de lui réserver une place dans un camping, à proximité de sa cible. Problème : le camp est réservé aux naturistes et la cible semble être son ex-épouse. Ou alors son nouveau compagnon, un juge à la réputation incorruptible. Pas si sûr. Les informations manquent de clarté et Numéro Trois n'arrive pas à se concentrer lorsqu'il est nu, a fortiori lorsqu'une fille à tomber par terre croise son chemin.

 

     Vous avez aimé Aller simple, vous adorerez Nager sans se mouiller. Derrière cette assertion, évidemment non négociable, se cache un roman au propos beaucoup plus profond qu'il n'y paraît au premier abord.

L'auteur ne craint pas la surenchère, on le sait. Il s'en donne une nouvelle fois à cœur joie, multipliant les enchaînements rocambolesques et les situations invraisemblables. Tout ceci n'est pas sans rappeler un certain Marc Behm et, malgré la coloration abracadabrante de l'ensemble, on plonge, surpris plus d'une fois, le sourire aux lèvres.

     Au-delà de l'aspect déjanté de l'intrigue, le propos de Carlos Salem s'attache à des questions plus existentielles. Il vire carrément à l'introspection, se teintant même d'existentialisme. Autant le dire tout de suite, l'auteur hispanique se fiche comme d'une guigne des codes du genre. Pas de bien ou de mal dans ce roman. Point de suspense haletant, de tueur implacable ou de policier incorruptible (ou son contraire, c'est tendance). Les adeptes du thriller en seront pour leurs frais. Numéro Trois laisse tomber tous les fondamentaux de son métier, pour se consacrer à lui-même et à son entourage. Fraternisant avec l'amant de son ex, trinquant, à découvert, avec le policier qui le traque, redécouvrant ses enfants, il laisse peu à peu tomber le masque et jette un regard critique sur son passé. Chemin faisant, il toise également les faux-semblants de notre société, une communauté dans laquelle le paraître revêt plus d'importance que l'être.

     Le roman de Carlos Salem est un véritable hymne à la vie, jalonné de clins d'œil (un des vacanciers s'appelle Andréa Camilleri), de scènes d'amour mémorables, de formules apparemment absurdes mais frappées au coin du bon sens. L'auteur hispanique pousse le bouchon très loin, jusqu'à faire allusion à son précédent roman, se mettant en quelque sorte en scène par procuration.

     Et on se régale à le lire, quitte à plonger tout habillé.

 

     « J'exige que, à la fin du roman, je puisse vivre sans mensonges, savoir si je suis Juanito ou Numéro Trois. Savoir. Vivre. Aimer. Même si ça doit me faire souffrir. Même si je dois mourir en conjuguant ces verbes. »

 

 

  Nager sans se mouiller

 

  
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nager sans se mouiller (Matar y guardar la ropa, 2008) de Carlos Salem, Éditions Actes Sud, collection Actes Noirs, septembre 2010 (roman inédit traduit de l'espagnol par Danielle Schramm)

 

 

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