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27 janvier 2013 7 27 /01 /janvier /2013 18:29

      Insubmersibles canards en plastique [1], bénis oui-oui et autres moutons de panurge, tous prêts à prendre des vessies pour des lanternes, à partir en croisade contre les incrédules, les sceptiques et les cyniques mettant en doute leur foi ou s’en moquant avec leurs remarques caustiques.
Tel est le sujet abordé par Christopher Brookmyre dans un livre plus malin que ne le laisse présager son titre en apparence grotesque.

 

     À l’instar de Ken Bruen [2] ou de Charlie Williams [3], Christopher Brookmyre appartient à ces plumes britanniques ayant apporté un sang neuf à un genre jusque-là enferré dans la routine. Le présent opus est le cinquième épisode des aventures de Jack Parbalane, un journaliste d’investigation aimant se placer dans des situations périlleuses. On peut toutefois le lire indépendamment des autres titres de la série, les allusions à un précédent volet (non traduit) ne gênant aucunement la compréhension de la présente histoire.

      Le fervent rationaliste affirme souvent qu’il a besoin de voir pour croire. Détournant astucieusement cette sentence, Brookmyre démontre surtout qu’il faut croire pour voir, la foi se passant allègrement de la logique ou du raisonnement. Et quand bien même on tenterait d’expliquer à un croyant, avec des preuves, la vacuité de ses croyances, on se verrait opposer une fin de non-recevoir. Sujet vieux comme le monde, on en conviendra, mais traité ici par l’auteur écossais d’une manière futée et avec une ironie british délicieusement mordante.

      Tout commence dans la prestigieuse université de Kelvin en Écosse. Gabriel Lafayette y fait fureur auprès des étudiants dans des spectacles mettant à profit son prétendu talent médiumnique. Fort du soutien d’un riche mécène et de quelques chercheurs « free-lance », celui que d’aucuns voudraient cantonner au rôle de saltimbanque doué, souhaite désormais voir la science cautionner ses pouvoirs surnaturels. Plus qu’un caprice, l’enjeu de la manœuvre n’est rien de moins que la création d’une chaire de « physique spiritualiste ». Enthousiasmés par cette perspective, adeptes du spiritisme et clubs de théosophie s’enflamment pendant que les scientifiques s’agacent et s’inquiètent des conséquences de cette fâcheuse expérience, si tant est qu’elle aboutisse. Entre-temps dans les coulisses, les tenants de l’Intelligence Design tirent les marrons du feu.

     En sa qualité de doyen honorifique de l’université, une élection canularesque dont il ne se vante pas, et fort de son expérience de journaliste, Jack se voit propulsé comme observateur pour départager les participants de cette pétaudière.

     Malgré une mise en place un tantinet laborieuse (en gros toute la première partie), la pertinence du propos se conjugue à l’intrigue policière pour finalement happer l’attention. Le dispositif narratif adopté par Brookmyre compte aussi pour beaucoup dans cette réussite. Résolument non linéaire, l’histoire alterne différents points de vue et use du procédé du déjà vu, multipliant les fausses pistes, les rebondissements et contribuant ainsi à ménager le suspense jusqu’au terme du roman, que l’on peut juger un peu convenu quand même.

 

      D’une manière légère et décalée, Christopher Brookmyre concilie humour et réflexion politique, au sens noble du terme. Fermement ancré dans le réel, Les canards en plastique attaquent ! tient à la fois de la satire et du roman policier. Une lecture à classer parmi les petits plaisirs qui rendent moins borné.

« Tu as le droit de croire en ce que tu veux, mais il faut savoir être responsable, prendre en compte les faits et ajuster ses croyances en fonction de ça. Sinon, on freine sa propre évolution cognitive. »


[1] Expression employée par James « Le Sensationnel » Randi, magicien canadien et grand sceptique, pour décrire les gens déterminés à continuer à croire au surnaturel, en dépit des preuves qu’on leur apporte de sa non existence.

[2] Célébré pour les séries prenant pour héros R&B et Jack Taylor, Ken Bruen est l’auteur de romans noirs, souvent grinçants et amers, parfois drôles, mais toujours humains.

[3] Presqu’homonyme, à une lettre près, de l’auteur américain Charles Williams, Charlie Williams est connu dans l’Hexagone pour la trilogie de Mangel, une série se partageant entre humour noir, désespérance ordinaire et critique sociale.

 

Canards.jpg

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les canards en plastique attaquent ! de Christopher Brookmyre [Attack of the Unsinkable Rubber Ducks, 2007] ÉD. DENOËL, DÉC. 2009

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