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  • : le blog yossarian
  • : Grand lecteur de romans noirs, de science-fiction et d'autres trucs bizarres qui me tombent sous la main
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12 mai 2010 3 12 /05 /mai /2010 15:19

« Les genres littéraires se redéfinissent par de multiples écritures et réécritures. Poussés jusqu'à leur extrêmes ils en arrivent à faire exploser leurs propres limites. »


 

     Je ne vois rien de mieux à dire, du moins rien de plus pertinent, que cette accroche due à la plume de Paco Ignacio Taibo II. En effet, Iode de Juan Hernandez Luna s'inscrit pleinement dans cette volonté de tordre le cadre du roman noir afin de dépasser le procédé de la chronique policière.

     Loin du miroir aux alouettes de la reconnaissance bourgeoise, l'auteur hispano-mexicain a bien raison de souligner d'entrée de jeu que le polar est avant tout amoral, c'est-à-dire dépourvu de toute volonté d'édifier ou de rassurer. Il se contente de révéler l'absurdité de la condition humaine dans ce qu'elle a de plus généreux comme de plus méprisable.


 

« Il fait nuit.

Comme un démon de pluie et de sel, comme un éclair de boue et d'abîme, la rue laisse voir son arrête décharnée.

C'est une rue longue et sinueuse.

La rue principale du quartier.

Mon ombre glisse, lentement, entre des maisons perdues, dans l'immensité humide et silencieuse. »


 

     Court roman de 130 pages à peine, au titre faussement maritime, Iode raconte l'histoire apparemment simple d'un jeune homme (son âge reste indéterminé comme son prénom). Albinos et attardé de naissance, il vit dans un quartier de Puebla, bouleversé par des travaux de démolition interminables, en y subissant au mieux la vindicte des passants, au pire l'exploitation de voisins prêts à abuser de son « innocence ».

     Partagé entre une mère sur-protectrice (elle est également un peu sorcière, un peu sainte et un peu pute) et sa passion pour les coquillages, les vers de terre (laissés à se dessécher dans des bocaux) et les horaires des autocars, il devient par nécessité le narrateur de son existence cabossée. Ainsi, on se prend d'affection pour ce pauvre hère que la nature et les circonstances n'ont pas gâtées.

 

     Et puis, à l'instar de Londres Express de Peter Loughram, on découvre la monstruosité du jeune homme, dévoilée par touches progressives, et là, les choses deviennent tout d'un coup moins limpides. Les manies et pulsions jalonnant ses longues journées de désœuvrement apparaissent désormais comme des manifestations beaucoup plus inquiétantes de sa folie. Tueur compulsif, violeur occasionnel, il vit dans un délire permanent, ponctué toutefois de quelques éclairs de lucidité, un délire qui vient fausser la perception que l'on se fait du quartier, des relations avec sa mère et avec le voisinage. Extrêmement intelligent, il commet pourtant des erreurs grossières, de celles pouvant conduire directement à l'échafaud. Il jouit heureusement d'une sorte de protection miraculeuse, conférée par les signes magiques tracés par sa mère sur tout son corps. Faut-il y croire ? Peu importe, il passe entre les mailles du filet tendu par la police avec une insolente impunité.

 

     Pour autant, Iode n'est pas que la description délirante d'un fou dangereux. Derrière la psychose affleure une réalité sociale très noire. Corruption, violence, misère, bêtise, malveillance dessinent un Mexique loin des clichés véhiculés par les mariachis? A vrai dire, on se situe davantage du côté des corridos chantés dans les cantinas. Ainsi, la violence sauvage, spontanée et imprévisible du jeune homme ne fait que répondre à celle beaucoup plus ordinaire et organisée de la société.

 

     Bref, poussé à l'extrême par une écriture fascinante et par un sujet inquiétant, Iode de Juan Hernandez Luna fait exploser les limites du roman noir. Une détonation qui en appelle d'autres.

 

iode.jpg

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Iode de Juan Hernandez Luna (Iodo, 1999) – Éditions l'atinoir, janvier 2009 (roman traduit du mexicain par Jacques Aubergy)

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commentaires

D
<br /> <br /> Parce que, entendons nous bien, le polar moralisateur (j'imagine que c'est la même chose pour toi) me tombe souvent des mains et comme j'ai les pieds sensibles...<br /> <br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Même avec des chaussures de sécurité ?<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> <br /> Oups précision qui a son importance : quand je dit morale, je ne dis pas moralisateur.<br /> <br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Je crois que tu as mis le doigt dessus. C'est le ton moralisateur qui me pose problème. Le "écrire en contre" de Daeninckx par exemple. Dommage, car par ailleurs, j'aime beaucoup sa façon<br /> d'explorer les angles morts de l'histoire, du moins tel qu'il le faisait à ses débuts.<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> <br /> Mince, je n'ai lu aucun des 3 romans dont tu causes ci dessus. Mais un roman noir qui serait sans morale (ne serait-ce que dans ce qui détermine le choix de l'histoire que raconte l'auteur et la<br /> façon dont il raconte) me semble être un leurre. Je vais mettre "Londres Express" sur ma table de chevet et on en recause !<br /> <br /> <br /> Les romans de Thompson sont moraux et ne sont pas mauvais, idem pour Manchette (dont tous les romans ne sont pas bons il est vrais) ou encore Goodis (pour ceux que j'ai lu, je n'ai pas lu celui<br /> dont tu causes). Amila, par exemple, est un auteur qui me parait éminament morale et ce qu'il produit, n'est pas mauvais. Ces auteurs ne font pas qu'un constat (l'échec des sociétés capitalistes<br /> et industrielles), ils tentent de donner des explications et tentent aussi de donner des portes de sorties (en dévellopant une morale), c'est à mon avis le plus dur. Bien plus dur que d'en rester<br /> au constat (mais qui est lui-même de toute façon, il me semble, un constat morale).<br /> <br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> J'ai lu 1275 âmes il y a longtemps. Je n'ai pas le souvenir d'avoir lu un roman moral, à moins d'accepter au pied de la lettre les délires de Corey.<br /> <br /> <br /> Manchette me semble être un auteur beaucoup plus politique, la fameuse volonté d'intervention sociale. Toutefois, la critique apparaît surtout en creux, tout comme chez Amila. Enfin, il me<br /> semble.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> <br /> Il me semble que rien que par son angle de vision - en gros le constat d'échec de la société industriele et capitaliste et, mais pas toujours voir même de moins en moins, une tentative de<br /> rétablir (ou établir) un ordre plus juste au sein de la société -  le roman noir est morale. (Mais peut-être ne somme nous pas d'accord sur la définition du roman noir). L'auteur rien que<br /> par le choix de l'histoire qu'il raconte et la façon dont il va la raconter, même s'il ne fait que décrire les actions de ses personnages, n'en selectionne que certaines celles qu'ils jugent<br /> pertinentes, ce choix me semble être toujours tendu vers une morale, surtout dans le roman noir.<br /> <br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Justement, et ce n'est pas qu'une question de définition divergente, lorsque le roman noir tend vers une morale, il est mauvais, ou alors moins en capacité de retourner le lecteur et le faire<br /> s'interroger sur la société.<br /> <br /> <br /> C'est un travers du néo-polar hexagonal, un écueil qu'il a du mal à éviter. Prenons Londres Express de Loughram. Je te mets au défi de trouver la morale vers laquelle tend ce bouquin. Idem pour<br /> J'étais Dora Suarez de Cook ou La reine de la nuit de Behm.<br /> <br /> <br /> Toutefois, ceci n'est que la vision des choses d'un lecteur lambda : mézigue. <br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> <br /> "Loin du miroir aux alouettes de la reconnaissance bourgeoise, l'auteur hispano-mexicain a bien raison de<br /> souligner d'entrée de jeu que le polar est avant tout amoral, c'est-à-dire dépourvu de toute volonté d'édifier ou de rassurer. Il se contente de révéler l'absurdité de la condition humaine dans<br /> ce qu'elle a de plus généreux comme de plus méprisable."<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Mais pour révéler cette absurdité de "la condition humaine dans ce qu'elle a de plus généreux comme de plus<br /> méprisable"... il me semble qu'il faut se revendiquer d'une morale (ou tout au moins compter dessus) dans au moins un des deux sens du terme le sens "ordinaire" (ensemble de régle de conduite et<br /> de valeur dans une société) et/ou dans le sens "philosophique" (doctrine raisonné qui montre à l'humain la finalité qu'il doit poursuivre et les moyens qu'il va employer) ; la morale ne sert pas<br /> à édifier ou rassurer, mais elle donne un but, une fin et des pistes pour y parvenir, la morale dans le sens ordinaire donne aussi des règles... et c'est elle qui donne (la morale que l'on se<br /> choisit, car on peut tenter de la choisir grâce à la connaissance), il me semble bien, le "la" pour causer de la condition humaine. Le polar est une littérature très morale il me semble (même<br /> s'il s'en cache parfois)... même quand il ne fait que se "contenter" de décrire un état de fait. L'angle de description de cet état - chez Thompson ou Goodis par exemple - est morale ou tout au<br /> moins répond à la morale. Il faut que je dévellope tout ça... plus clairement.<br /> <br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> En attendant tes éclaircissements, je précise ma pensée. Je laisse la philosophie de côté, c'est un débat qui trop souvent se révèle être glose stérile (pour moi, la philosophie ne devrait être<br /> rien d'autre qu'une boîte à outils).<br /> <br /> <br /> Le roman noir, du moins celui qui frappe les esprits, doit être amoral, c'est-à-dire ne pas afficher les principes moraux de son auteur. Celui-ci ne doit être que l'observateur des personnages.<br /> Il se contente de relater leurs gestes, éventuellement leurs pensées et les comportements dictés par leur propre morale.<br /> <br /> <br /> Si l'on prend par exemple Iode, le jeune tueur n'est pas dépourvu de principes. Ils sont même transparents : défendre sa mère. Toutefois, ils ne correspondent pas à ceux de la société.<br /> <br /> <br /> <br />