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  • : le blog yossarian
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29 décembre 2012 6 29 /12 /décembre /2012 10:09

     Petit clin d'œil aux amis de l'association  Fondu Au Noir, cet article est paru dans la revue L'Indic n°4.

 

      À l'instar du monde romain, il semble bien que les jeux, désormais strictement sportifs, soient devenus une des composantes essentielles concourant à l'équilibre de nos sociétés pacifiées. Sous toutes ses déclinaisons, footballistique, rugbystique, athlétique, vélocipédique et j'en passe, le sport alimente le quotidien en exploits fournissant à la fois un exutoire aux passions, une tribune aux discours politiques et un support commercial aux transnationales.

 

      Plus vite, plus haut, plus fort ! La formule du baron de Coubertin paraît être le leitmotiv de médias prompts à s'enflammer au moindre sautillement, au plus infime centième de seconde grappillé sur le record précédent. En 1980, dans le contexte tendu des J.O. De Moscou, deux écrivains français mirent sur la sellette le sport-spectacle, le sport-institution via l'angle de la prospective. Il en résulte deux dystopies1 joliment troussées et toujours d'actualité.

 

Olympiades      Commençons par le roman de Joëlle Wintrebert. Les Olympiades truquées a connu une histoire éditoriale mouvementée. À l'origine, le titre est paru dans la très politique collection « Ici et maintenant2 » des éditions Kesselring. Puis, il a été réédité au Fleuve noir dans une version coupée en deux, avant de renaître en un seul volume, dans une forme amplement réécrite, chez Bifrost/Étoiles vives (une réédition en poche de cet ouvrage est également disponible chez J'ai Lu).

 

      Les Olympiades truquées traite du sport en général et de la violence qu'il génère en particulier. Joëlle Wintrebert y entrecroise le destin de deux personnages féminins : Maël, clone d'une célèbre femme compositeur, et Sphyrène, jeune championne de natation dressée par les entraîneurs afin de gagner les J.O. De Téhéran.

      Le futur dépeint par l'auteure française a toutes les apparences des lendemains qui déchantent. L'eugénisme est couramment pratiqué afin de permettre aux couples de choisir le sexe de leur enfant, au détriment évidemment des femmes (le propos de Joëlle Wintrebert apparaît ainsi teintée de féminisme).

      Dans les banlieues, des bandes de jeunes mâles, écartés du pool génétique, traquent les jeunes femmes pour leur faire subir des tournantes. Ils sont eux-mêmes pourchassés par l'État qui pratique un contrôle social draconien, n'hésitant pas à rééduquer les déviants. La logique du Marché est ici poussée à l'extrême permettant aux riches de faire « pousser » des clones en guise de banque d'organes.

 

      Le capitalisme a investi bien entendu le sport, convoquant l'arsenal des technosciences afin d'élever les champions de l'avenir. Su ce point, les pays pratiquant le « socialisme réel » ne sont pas en reste. Dopage, sélection par le clonage, manipulation génétique, tout est mis en oeuvre pour fournir à la population sa ration de records. Et peu importe si le système broie des existences individuelles pour parvenir à ses fins. De toute manière, peu nombreux sont les opposants, du moins clandestins, du système.

      Sans surprise durant une grande partie du récit, Les Olympiades truquées détonne par son dénouement inattendu. Noir, c'est noir.

 

GuerreOlympique.jpg      Venons-en à La guerre olympique de Pierre Pelot. On reconnaît aisément dans l'environnement géopolitique de ce roman celui de la guerre froide dans son ultime manifestation de tension. Que ce contexte soit désormais dépassé n'a que peu d'importance au regard du jeu de massacre auquel se livre l'auteur français ; jeu qui n'est pas sans rappeler Rollerball de Norman Jewison.

      Adaptant à sa manière la formule de von Clausewitz, Pierre Pelot martèle tout au long de son roman le message suivant : le sport n'est qu'un prolongement de la guerre par d'autres moyens.

 

      Le futur esquissé par l'écrivain des Vosges naît des œuvres perverses de la logique bloc contre bloc et de la surpopulation. Pour préserver le fragile équilibre démographique et idéologique, les puissances ont établi une sorte de décimation tous les deux ans. Les Jeux olympiques deviennent ainsi le paroxysme d'un affrontement régulé, en permettant aux Rouges et aux Blancs de défendre l'honneur de leur Cause et accessoirement de se débarrasser de leurs surplus démographiques : criminels, déviants politiques et assimilés, otages au cerveau piégé, voués à périr en cas de défaite aux Jeux.

      Les dieux du stade deviennent des machines à tuer condamnées à vaincre. Sélectionnés génétiquement et bourrés d'anabolisants, ils sont affûtés comme des armes, prêts à porter la mort dans le camp adverse de manière directe et indirecte.

 

      À la différence des Olympiades truquées, on prend à peine le temps de s'attacher au divers protagonistes de l'histoire : Pietro Coggio, l'espoir du camp des Blancs, Slim la jeune journaliste en quête du scoop susceptible de doper sa carrière, les condamnés Yanni Bog du côté Blanc et Mager Cszorblovski du côté Rouge. Tous ne sont que des rouages, des pions dans un système qui les englobe et les déplace, au gré de ses besoins, sur l'échiquier géopolitique afin de pérenniser l'équilibre de la terreur.

 

      Œuvres politiques par excellence, Les Olympiades truquées et La guerre olympique apparaissent désormais décalés du fait de leur contexte daté. On n'y parle pas de développement durable ou de guerre contre le terrorisme mais de surpopulation et de Guerre froide.

      Pourtant, ceci ne doit pas éluder la lucidité des perspectives ouvertes par les deux romans. Le Marché et la société du spectacle laminent toujours l'intelligence et plus que jamais le dopage entache de doute les compétitions sportives. Quant aux manipulations génétiques et au clonagen il ne s'agit que d'une question de temps...

 

 

Notes :  


1 : Dans une de ces acceptions, la dystopie (le lieu du mal) s'oppose à l'utopie (le lieu du bien). Dans le cadre de la S-F, la dystopie est une fiction dans laquelle l'auteur imagine un futur cauchemardesque en puisant dans le présent des traits qu'il juge nocifs, les poussant à l'extrême. Parfois, on parle également d'anti-utopie.

2 : Allusion à peine voilée à la collection « Ailleurs et demain » dirigée par Gérard Klein chez Robert Laffont.

 

 

Les Olympiades truquées de Joëlle Wintrebert – Éditions Kesselring, collection Ici et maintenant, 1980 (réédition J'ai Lu, 2001)

La guerre olympique de Pierre Pelot – Éditions Denoël, collection Présence du futur, 1980 (réédition Gallimard, collection Folio SF, avril 2012)

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