Initialement édité dans l’Hexagone au sein de l’excellente Série Noire, La baleine scandaleuse se distingue des autres œuvres inscrites au catalogue de la collection par son intrigue atypique et par l’emploi d’un élément de narration inhabituel dans le polar : un cétacé.
La réédition maquettée façon Marc Dorcel, publicité en quatrième de couverture incluse, de la collection Carré Noir introduit un instant le doute dans les esprits. Il ne faut pourtant pas se laisser abuser par l’imagerie kitsch, genre stupre et émois adolescents, qui est associé à la traduction en français du titre. En effet, The Whale Story est un roman noir de la plus belle eau avec juste ce qu’il faut de folie douce pour le rendre indispensable. Jugez-en par vous-même.
En Californie du sud, la marée montante drosse sur la plage une baleine grise égarée. Passablement fatiguée par plusieurs tentatives infructueuses pour regagner son élément naturel, l’encombrant mammifère marin finit pas s’endormir. Le jour est sur le point de se lever, l’action se tourne vers d’autres mammifères, encombrés par leurs problèmes personnels. Rapidement, John Trinian attire notre attention sur quelques uns parmi eux : un couple de jeunes héritiers friqués, dont les familles espèrent le mariage, un malfrat en cavale en attente d’un comparse, un flic à cheval raciste et immature qui se donne des faux airs de dur, le conducteur d’un tracteur-dépanneur, un acteur toxicomane sur le retour et sa jeune épouse, un photographe désargenté, spécialisé dans les clichés épicés accompagné par deux modèles peu vêtus…
La baleine échouée devient ainsi le point focal de cet échantillon d’humanité tout ce qu’il y a de plus banal au milieu des années 1960.
J’ai entamé la lecture de La baleine scandaleuse en suivant le conseil de Jean-Bernard Pouy (que des pétales de rose précèdent ses pas). Je renvoie les éventuels amateurs à sa source : Une brève histoire du roman noir.
Bien m’en a pris car, sans être au même niveau de dinguerie que Le lézard lubrique de Melancoly Cove de Christopher Moore, roman dont le créateur du Poulpe souligne la filiation, La baleine scandaleuse se révèle une excellente étude de caractère avec juste ce qu’il faut d’humour vachard sur le genre humain. Alors peu importe si on ne décolle pas de ce bout de plage où gît la baleine endormie. On goûte sans retenue au sens de la formule d’un écrivain particulièrement inspiré et on s’amuse des tours et des détours qu’il fait prendre au cheminement intime de chacun des protagonistes de cette histoire.
Bref, en voilà une belle réussite, à tout point de vue, que cette tragi-comédie insolite où le rôle principal est finalement dévolu à un personnage muet et non humain. Un personnage dont l’irruption inattendue vient bouleverser, en bien comme en mal, les projets d’une bande de macaques.
Si le terme chef-d’œuvre n’était pas tant galvaudé à force d’être utilisé à tout
bout de champ, j’aurais bien envie d’en user ici même.
La baleine scandaleuse [The Whale Story, 1964] de John Trinian – Réédition Carré Noir/Gallimard (Edition originale Série noire/Gallimard, 1965 – Roman traduit de l’anglais [Etats-Unis] par Philippe Marnhac)