Après avoir laissé en friche ce blog, j'ai enfin décidé de remettre le couvert. Un article sur Jean Amila me paraît être une bonne base pour redémarrer. En attendant la suite... pas trop longtemps, je le souhaite [malheureusement je demeure maladivement perfectionniste et régulièrement insatisfait.]
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« Ami si tu tombes
Un ami sort de l’ombre à ta place. »
A l’ombre, Laurent s’y trouve depuis deux ans pour un crime commis « presque » par légitime défense lorsque le roman commence. Sa peine arrivant à son terme, il est libéré avec son pécule et une vie à reconstruire. Dehors, il fait beau. Le soleil rayonne et les montagnes ne sont pas très loin. Cependant, Laurent affiche rapidement son dégoût pour cette ville de province où il erre en attendant son train pour Paris. Il s’attable dans un café pour tuer le temps.
« Des mouches, les mêmes que celles de la gare et du crottin, pompaient les tables mal essuyées. »
Deux hommes entrent et saluent. L’un est grand et costaud. L’autre, plus âgé, se présente et discute avec lui. Il s’appelle M. d’Essartaut. et il l’invite rapidement à venir travailler dans sa scierie car il juge Laurent marqué du signe de la fierté. Pourquoi ne pas accepter ? Le vieux est sympathique et, après tout, le grand air et l’exercice lui seront profitables. Ainsi, c’est dans une drôle de communauté qu’il est introduit, un ancien maquis de la Résistance : des combattants, des héros, des tueurs aux mains rouges qui ont œuvré à chasser l’occupant et à châtier les collabos. Evidemment la guerre est désormais finie, mais pas leur guerre car ils ne se satisfont pas de l’ambiance grise qui s’est instituée après la Libération. Le pouvoir est aux mains des habiles, des tièdes prêts au compromis et des collabos reconvertis. Il faut reconstruire et rentrer dans le rang. Certains se consolent comme ils peuvent, pas eux. Ils ont décidé de continuer le combat, de poursuivre l’action directe.
Laurent ne partage pas leur passé héroïque. Il n’est pas des leurs. Néanmoins, il les comprend et ne peut qu’apprécier l’hospitalité offerte, en particulier celle des deux filles, Hélène et Christine, de M. d’Essartaut. Ce qu’il ne sait pas, c’est qu’en suivant ces partisans, il va boire la coupe jusqu’à l’hallali.
Avec ce roman, Jean Meckert qui ne s’appelait pas encore Amila, signe un chef d’œuvre. Par la même occasion, il jette un sacré pavé dans la mare. 1947, année de sa parution, la seconde guerre mondiale est encore dans tous les esprits et la future guerre froide pointe le bout de son nez. Le PC est encore le parti des fusillés et la Résistance est intouchable. D’ailleurs tout le monde ou presque a résisté. « Nous avons les mains rouges » nous expose une vision différente de cette belle unanimité.
En suivant les pas de Laurent, nous adoptons son point de vue d’ingénu sur un milieu qui l’attire, l’accueille fraternellement mais auquel il reste définitivement étranger. La cause semble juste aux yeux de ces purs et durs partisans et seules les circonstances ont changé. Ils accomplissent les mêmes opérations que pendant la guerre. En quoi leurs actes sont-ils donc moins moraux, une fois cette guerre finie ? Jean Meckert ne les juge pas. Il décrit, expose les arguments de chacun. On hésite à prendre parti car ces anciens résistants apparaissent tour à tour justes dans leur démarche, écorchés face aux promesses du Maquis vite oubliées, guidés par des intentions louables et pourtant extrémistes. On est ballotté, malmené, éprouvé, on espère… mais quoi ? Comme les personnages du roman, on aspire à la noblesse, à la perfection et à la justice. Hélas, celles-ci ne sont pas de ce monde. Les hommes ne sont définitivement pas à la hauteur de leurs idéaux. Ce ne sont pas toujours les destins les plus remarquables qui font les êtres remarquables.
Alors le propos de Jean Meckert est-il assimilable à la formule « tous pourri, même la Résistance » ? C’est sans doute très réducteur de l’affirmer car ce n’est pas à l’action de résister qu’il s’attaque mais au mythe de la Résistance. Ce faisant, il fait œuvre de précurseur et évoque en connaissance de cause [Jean Meckert a connu le Maquis, n’a jamais caché son rejet de l’épuration commise, non seulement par ceux que l’on a surnommé les résistants de la dernière heure, mais également par des résistants légitimes] de cette période, au moins aussi trouble que celle de l’Occupation. Dans ce roman, il met en scène les mécanismes de la violence et de la haine jusqu’à leur stérile absurdité. Il semble dire que dans une guerre personne ne gagne, quelle que soit la cause défendue. Et, effectivement on ne sort pas indemne de cette lecture et l’on se dit que l’on n’a pas terminé d’avoir les yeux rouges pour tout ce gâchis passé et à venir.
Aparté : « Nous avons les mains rouges » ne connu aucun succès critique. Un an plus tard, parut « Les mains sales » de Jean-Paul Sartre qui fut un succès. Désormais, le premier est presque introuvable, le second est étudié en classe. Pas grave. C’est bien de notre temps de justifier la violence ou de la condamner en fonction des circonstances.
Titre : "Nous avons les mains rouges"
Auteur : Jean Meckert
Editions : GALLIMARD, 1947 [pour la première édition dont je dispose mais qui ne correspond évidemment pas à l'illustration ci-contre, celle des éditions Encrage]