Un petit amuse-gueule, en attendant des choses plus consistantes...
Après moult lectures dans d’autres domaines, l’étreinte de l’uchronie s’est à nouveau faite
sentir. Vers quel roman porter mon choix ? Cruel supplice que celui-ci. Fort heureusement, dans sa grande miséricorde, la Providence a guidé naguère mes pas vers un ouvrage de Pierre
Barbet. Un modeste opus de 158 pages s'intitulant de manière fort grandiloquente L'empire du Baphomet.
Baste ! Peut me chaut l’hideuse couverture de l’enlumineur Caza et le velin rendu
velu par l’âge de l’ouvrage. Je me suis rué sur le susnommé roman et me suis rassasié de sa prose. Et comme je suis un prud’homme, laissez-moi vous narrer celle-ci.
Au cours d’une chasse solitaire à la grosse bête, Hugues de Payn, modeste chevalier mais déjà
ardent chrétien, est distrait par la chute d’un artefact igné. N’écoutant que son courage, le féal court sus à l’objet, faisant ainsi la rencontre d’un être à l’apparence démoniaque : le
Baphomet. Incontinent, le démon lui propose un marché. Faire profiter Hugues de son savoir et de son art en échange d’une pitance quotidienne. Ah ah ! s’exclame Hugues, tout de suite intéressé.
Et il échafaude ses plans pendant que l’idole déjeune. (j'honni qui a l’idée de mal penser !)
Quelques années plus tard, l’ordre des Templiers, fondé par Hugues afin de défendre la Terre
Sainte, dépêche sur place Guillaume de Beaujeu et quelques braves dans le dessein de sauver Saint-Jean-d’Acre. Dès son arrivée, l’ost hardi, convaincu du bien-fondé de sa mission, lève en ces
lieux le ban et l'arrière-ban des forces chrétiennes pour porter le fer de la vraie foi dans le cœur perfide des idolâtres mahométans. Le Baphomet a confié à cette avant-garde du Christ, quelques
grenades atomiques, histoire de faciliter sa tâche. Mais, c’est un jeu de dupes que se livrent Templiers et Baphomet. Les premiers ne souhaitent que s’affranchir de leur encombrant parrain,
pendant que ce fils de drôlesse ourdit secrètement dans son antre l’asservissement de l’espèce humaine.
Et comme si cela ne suffisait pas, Guillaume ambitionne d’utiliser les armes foudroyantes de
l’entité afin de conquérir le monde pour son propre compte, quitte à affronter la puissance des multitudes du khan des khans, Qoubilaï.
Mordiou ! Voilà le début d’une épopée mémorable.
Petit entracte narrant l’arrivée de la coalition à Bagdad.
« La cour de Bagdad n’avait certes pas usurpé sa réputation de faste, n’était-ce point dans cette cité que l’on tissait
les plus belles soies du monde ? Les yeux éblouis, Templiers, Francs et Anglais ne savaient où donner du regard.
Quel contraste entre leurs armures ternies pas le sable, maculées de sang séché et le faste de ce palais des Mille et
Une Nuits où satins, brocarts d’or, mousselines chatoyaient sous la lumière d’innombrables lampes à huile finement ciselées dans le cuivre.
Tous se sentaient un peu déplacés en un tel lieu.
La princesse, entourée de ses suivantes et de ses ministres, siégeait sur un trône d’or serti de pierres précieuses. Un
léger voile lui masquait en partie le visage et elle portait une tunique violine arachnéenne. Dès qu’il eut contemplé son harmonieuse beauté, Jean de Grailly se senti subjugué. Pour lui, rien
n’existait en dehors de cette déesse sortie d’un conte oriental.
Guillaume de Beaujeu, lui, n’était point sensible à ses charmes. Pourtant, lorsqu’elle se jeta à ses pieds, le
conjurant de l’épargner, elle et les siens, il la releva d’un geste maternel, assurant :
Ma douce fille, j’aurais grand-honte de me conduire céans en brutal conquérant. Certes, il m’a fallu combattre et,
hélas ! tuer le Khan Abaka, votre époux, mais je ne l’ai fait que dans le seul but d’imposer la vraie religion à laquelle vous appartenez. Vous conserverez le trône de Bagdad lorsque je serai
parti plus loin poursuivre notre juste croisade. En attendant, je vous demande de nous considérer comme des hôtes et des amis loyaux.
La princesse sembla fort émue par ces paroles et des larmes ruisselaient sur son visage. A cette vue Jean de Grailly ne
put se contenir, il se précipita vers elle, saisit respectueusement sa main parfumée de rose et la plaça sur sa tête, puis il s’écria :
Par le ciel, madame, moi Jean de Grailly, fais ici le serment solennel d’être à jamais votre chevalier servant. Si
quelqu’un vous faisait affront, je suis prêt à lui rendre raison. »
Que personne n’ait l’outrecuidance de penser que ce roman est une guieuserie banale sinon il
pourrait lui en cuire. L’empire du Baphomet est juste une guieuserie historique. Ça ripaille, ça tripaille dans ce roman en V.O. médiévale. Les ribaudes y lutinent, même le prud’homme,
comme des diablesses. Mais l’ost, dans sa mâle détermination, œuvre pour la plus grande gloire de Dieu. Les caparaçons rutilent, les chevaliers ferraillent bravement dans leur blanc harnois,
écartant quasiment sans coup férir un ennemi de pacotille.
Et on n’arrête pas de s’esbaudir à tour de page.
L’empire du Baphomet de Pierre Barbet - Fleuve noir, 1972 - Reedition J’ai Lu, 1977